[LCM Articles] De la censure aux bombardements: comment Israël a étranglé la voix de la Résistance libanaise

Abdallah Jabbour abdallah.jabbour at gmail.com
Wed Aug 9 18:58:56 EDT 2006


*9 Août 2006 *
*Thierry Meyssan*


La campagne pour la censure mondiale de la télévision du Hezbollah a débuté
fin 2003 à l'initiative de l'état-major des Forces armées israéliennes.
Accusée de diffuser des programmes antisémites, elle n'a jamais été
condamnée pour de tels faits, mais interdite pour des motifs d'ordre public.
Cette campagne, dont Thierry Meyssan retrace ici l'histoire et révèle les
acteurs cachés, était explicitement conçue en vue de supprimer la voix de la
résistance libanaise avant d'attaquer et de détruire le pays du Cèdre.

  C'est un principe immuable de la propagande : pour qu'un mensonge paraisse
une vérité, il convient d'abord de s'assurer qu'aucune voix dissidente ne
viendra le contredire, puis de le répéter inlassablement. Aussi, avant de
lancer son offensive en Palestine occupée et au Liban en invoquant la
légitime défense, Israël s'est assuré qu'Al-Manar, la chaîne de télévision
de la Résistance à l'occupation du Sud-Liban, du Golan syrien et de la
Palestine, ne parviendrait plus en Europe, aux Amériques et en Océanie.

Il est probable que bien des acteurs qui participèrent à cette censure n'en
mesurèrent pas les conséquences dramatiques. Mais tous voulaient empêcher un
débat contradictoire et favoriser les mensonges israéliens. Tous ont donc
une responsabilité dans les crimes qu'ils ont rendu possibles.

En outre, l'histoire de cette censure nous apprend beaucoup sur les filières
et les méthodes d'influence des Forces armées israéliennes en France et dans
le monde.
 *Prélude : « Quant on veut noyer son chien, on dit qu'il a la rage »*
Que l'on se souvienne : Al-Manar est une chaîne de télévision créée par le
Hezbollah en 1991 et diffusée par satellite depuis 2000. Elle propose
principalement des bulletins et magazines d'information consacrés à
l'occupation militaire israélienne, entrecoupés de quelques émissions de
divertissement.

Israël et les États-Unis, mais aussi le Canada et les Pays-Bas considèrent
le Hezbollah comme une « organisation terroriste », c'est-à-dire un ennemi
non-étatique. À l'inverse la France et les États qui lui sont proches
entretiennent des relations courtoises avec le Hezbollah au point que le
président Jacques Chirac l'ait invité à participer au sommet de la
Francophonie et que Bernadette Chirac ait accepté d'inaugurer plusieurs de
ses œuvres charitables.

Bien qu'Al-Manar soit un média, ou plutôt puisque Al-Manar est un média, il
est devenu une cible obsessionnelle de tel-Aviv et de Washington.

Les hostilités commencèrent le 3 mai 2003, lorsque le secrétaire d'État
Colin Powell en visite officielle en Syrie interdit l'accès d'Al-Manar à sa
conférence de presse [1]. En octobre de la même année, le département d'État
des États-Unis proteste auprès de ses homologues syriens et libanais à
l'annonce de la diffusion par Al-Manar d'un feuilleton intitulé Al Chatat
(La Diaspora). Celui-ci présente en effet une version jugée erronée de la
création de l'État d'Israël et de nature à raviver l'antisémitisme [2]. Ne
tenant pas compte de ces pressions, la chaîne commence la diffusion de la
série pendant le Ramadan, mais les autres télévisions arabes renoncent à la
reprendre [3]. En définitive, à la suite de la diffusion d'un épisode
litigieux, Al-Manar retire la série de sa programmation.

Le Middle East Media & Research Institute (MEMRI) lance alors une campagne
internationale pour l'interdiction d'Al-Manar. Le MEMRI est un puissant
lobby, basé à Washington, qui se présente comme une initiative civile. Il a
en réalité été fondé en 1998 par les officiers de renseignement des Forces
armées israéliennes Yotam Feldner et Aluma Solnick, sous le commandement du
colonel Yigal Carmon. Il est intégré dans un réseau d'associations
néo-conservatrices aux États-Unis [4].

Relayant cette campagne, le Conseil représentatif des institutions juives de
France (CRIF), saisit à Paris le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).
Le CSA est « une autorité administrative indépendante » chargée de réguler
le secteur audiovisuel. Il est présidé par Dominique Baudis, ancien
représentant en France du Carlyle Group, le fond de placement commun des
familles Bush et Ben Laden [5].

Profitant de sa cérémonie de présentation des vœux à la presse, M. Baudis
annonce avoir saisi le procureur de la République et avoir demandé un
rendez-vous au président du directoire d'Eutelsat pour déterminer comment
empêcher la diffusion d'Al-Manar coupable, à ses yeux, d'incitation à la
haine et à la violence [6].

Une semaine plus tard, Israël célèbre sa « Journée nationale du combat
contre l'antisémitisme » [7]. À cette occasion, le général Moshe Yaalon
déclare : « Près de 60 ans après la libération d'Auschwitz, l'antisémitisme
menace toujours la vie des juifs, tout en ayant changé de visage et de
stratégie ». Il organise avec Nathan Sharansky [8] un visionnage par
l'état-major d'extraits du feuilleton d'Al-Manar [9]. M. Sharansky cumule
les fonctions de vice-Premier ministre d'Israël et de conseiller du
président des États-Unis dont il écrit parfois les discours.

La radio militaire israélienne annonce alors qu'Israël a engagé diverses
actions pour faire interdire Al-Manar en Europe et range l'initiative du CSA
sur requête du CRIF comme premier résultat de cette campagne [10], propos
confirmés par le ministère israélien des Affaires étrangères.

*Premier acte : l'argument antisémite
*Le 31 janvier 2004, le Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin,
invité au dîner annuel du CRIF, déclare avoir visionné la cassette vidéo
préparée par les Forces armées israéliennes en compagnie de son ministre
Nicole Guedj, par ailleurs conseillère du CRIF. Il annonce à son auditoire
ravi son intention de changer la législation de manière à permettre au CSA
et au Conseil d'État d'interdire administrativement Al-Manar sans attendre
que la chaîne soit jugée ou condamnée pénalement [11]. La précipitation du
Premier ministre ne s'explique que par sa conviction que l'accusation portée
contre Al-Manar est outrancière et que la justice pénale ne prononcera
aucune sanction. Pour satisfaire ses hôtes, il choisit donc d'introduire une
loi d'exception.

Les nouvelles dispositions sont hâtivement insérées dans une loi sur les
services audiovisuels, approuvées par les deux chambres et publiées au
Journal officiel le 10 juillet. Deux jours plus tard, le CSA saisit le
Conseil d'État pour prononcer une interdiction administrative. Interrogé sur
cette procédure, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères
déclare : « Nul ne doit douter de la détermination de la France à lutter
contre toutes les manifestations de racisme et d'antisémitisme », laissant
entrevoir ce qu'il faut comprendre par « indépendance » du CSA [12].

Interloqués par cet aveu, le Conseil national de l'audiovisuel libanais –
bientôt suivi par toute la classe politique libanaise - appelle la France au
respect de la liberté d'expression [13]. Le Conseil libanais demande même à
tous les médias arabes d'observer une journée de solidarité avec Al-Manar,
le 12 août [14]. Commentant le litige devant la presse, le ministre libanais
des Affaires étrangères Jean Obeid souligne : « Nous ne voulons pas nous
ingérer dans le travail de la justice française, mais nous croyons que
l'aspect politique domine dans cette affaire (…). À chaque fois qu'on
critique une injustice historique commise par certains Israéliens ou juifs,
c'est perçu comme une critique au peuple juif ou à sa religion » [15]. Le
président libanais en personne Émile Lahoud publie un communiqué solennel
indiquant : « Toute mesure qui serait prise contre Al-Manar portera atteinte
aux médias libanais et les empêchera de faire parvenir leurs points de vues
à l'opinion publique française et européenne qui a commencé à comprendre,
par le biais des chaînes satellitaires libanaises, la justesse de la cause
arabe et à dénoncer les pratiques israéliennes agressives » [16].

À ce stade de la polémique, il est évident que la sélection d'extraits du
feuilleton réalisée par l'état-major des Forces armées israéliennes est
trompeuse. Coupées de leur contexte, les scènes paraissent « insupportables
», selon l'expression de M. Raffarin. Mais, replacées dans le cours de
l'œuvre, elles sont caricaturales et comparables à bien des scènes de
feuilletons anglo-saxons, exceptées qu'elles ne dénigrent pas les mêmes
populations. On peut déplorer que ce feuilleton lamentable ne soit pas à la
hauteur du reste des programmes d'Al-Manar, il ne fournit qu'un prétexte
bancale, d'autant que la chaîne a interrompu la série. L'accusation portée
par le président Lahoud est confirmée par une dépêche de l'AFP où l'on peut
lire plus franchement : « Au-delà du feuilleton, les autorités françaises
reprochent aussi à Al-Manar de faire l'apologie du terrorisme sous couvert
de militantisme politique contre l'État d'Israël. "Il y a une ligne
éditoriale générale qui favorise énormément l'image du martyr qui se fait
sauter pour tuer des Israéliens", explique une source au CSA, avec notamment
la diffusion complaisante de funérailles d'auteurs d'attentats, de chants et
de clips guerriers » [17]. Le seul et véritable enjeu est de savoir si le
public européen peut ou non avoir accès au point de vue libanais.

Pour la défense des autorités françaises, on doit néanmoins observer que des
images conçues pour un public proche-oriental et clairement lisibles par lui
peuvent être mal interprétées par un public européen ; voire même qu'elles
peuvent contribuer à exporter en Europe un conflit proche-oriental. Ce
problème n'est pas propre à Al-Manar et se pose avec toutes les images
produites dans les zones de conflit. Il ne peut être résolu que par une
éducation des téléspectateurs adaptée à une période de mondialisation des
chaînes satellitaires.

Très rares sont les organisations qui se mobilisent pour la liberté
d'expression lorsqu'elle s'applique aux Arabes. Le Réseau Voltaire envoie
une délégation au Liban qui apporte son soutien à Al-Manar et rencontre le
cheik Naïm Qassem, secrétaire général adjoint du Hezbollah [18].

Contre toute attente, le Conseil d'État loin d'interdire Al-Manar se
contente d'exiger que la chaîne se mette en conformité avec la nouvelle loi.
Elle dépose alors un dossier de conventionnement auprès du CSA qui ne
trouvant aucun motif de rejet est contraint de l'accepter [19], au grand dam
du CRIF. L'association sioniste tempête en rappelant les « promesses du
Premier ministre », montrant la considération qu'elle éprouve elle aussi
pour « l'indépendance » du CSA et des juges administratifs. Avec un humour
involontaire, le CRIF stigmatisait des « pressions étrangères » dans le
dossier [20].

Conformément aux accords internationaux, bien que délivrée par le CSA
français, l'autorisation d'émettre s'applique à toute l'Union européenne.

*Deuxième acte : l'argument du trouble à l'ordre public
*Montant au créneau, l'ancien Premier ministre socialiste Laurent Fabius est
invité du Forum de Radio J, une radio créée par le Fonds social juif unifié
et domiciliée dans les locaux du CRIF. Il s'y déclare « choqué » et
s'indigne du « double langage » du gouvernement Raffarin, montrant à son
tour sa haute conception de « l'indépendance » du CSA [21].

Rageur le CRIF publie un nouveau communiqué : « La décision du CSA de
conventionner la chaîne de télévision du Hezbollah, Al-Manar, équivaut à une
autorisation officielle donnée par la France à la propagande antisémite. Si
le Comité interministériel de lutte contre l'antisémitisme a encore un sens,
jamais sa convocation n'a été aussi urgente. Nous aimerions connaître la
position du Président de la République sur la situation ainsi créée par le
CSA. » [22]. Le Parti socialiste n'est pas en reste. Il qualifie Al-Manar
d'« outil de propagande au service du terrorisme et de l'antisémitisme »
[23]. Son premier secrétaire, François Hollande, écrit au CSA : « Comment
imaginer sérieusement que la chaîne du Hezbollah, qui diffuse en boucle
durant des heures des clips incitant les enfants à la haine et au martyre,
reconsidère de fond en comble des programmes conçus pour relayer une
phraséologie incompatible avec les valeurs qui fondent l'Union européenne ?
» [24] Tandis qu'avec son notoire sens de la mesure, le Centre Simon
Wiesenthal affirme : « Le CSA et les autres officiels qui ont accordé au
Hezbollah un nouveau permis de tuer (...) seront tenus pour co-responsables
de toutes les conséquences violentes qui pourraient en résulter » [25].

Le porte-parole du Parti socialiste, Julien Dray, insinue que la décision du
CSA aurait pu être prise dans le cadre d'une négociation relative à la
libération des otages français en Irak ; aimable amalgame bientôt repris
dans toute la presse [26].

Ce tohu-bohu n'est pas sans effet. Le 30 novembre, le CSA saisit le Conseil
d'État au titre de la nouvelle loi pour avoir diffusé des propos troublant
l'ordre public et avoir manqué d'honnêteté dans le traitement de
l'information. La chaîne avait en effet, au cours d'une revue de presse,
cité un article affirmant : « On a assisté, durant les dernières années, à
des tentatives sionistes pour transmettre des maladies dangereuses, à
travers les exportations aux pays arabes comme le sida. Cet ennemi n'aura
aucun scrupule à commettre des actes qui pourraient porter atteinte à la
santé des citoyens arabes et musulmans » [27].

Interpellant le ministre de la Communication à l'Assemblée nationale, le
député Rudy Salles, président du groupe d'amitié parlementaire
France-Israël, reprend l'argument du trouble à l'ordre public : « Cette
chaîne diffuserait en arabe mais aussi en français. Imaginez l'effet que
pourrait produire dans nos villes et nos banlieues ses messages de haine et
de violence contre les juifs ». Ce à quoi le ministre répond que l'Assemblée
ayant adopté une nouvelle loi, elle sera appliquée avec sévérité [28].

Mais craignant que le Conseil d'État peine à se laisser convaincre
d'interdire une chaîne de télévision pour avoir réalisé une revue de presse,
le groupe UMP à l'Assemblée nationale propose immédiatement de durcir la
nouvelle loi [29]. Lors d'une autre séance de questions au gouvernement, le
député UMP Pierre Lellouche, par ailleurs président de l'Assemblée
parlementaire de l'OTAN, interpelle à son tour le ministre de la
Communication en ces termes : « La chaîne Al-Manar appartient au groupe
terroriste du Hezbollah, qui est à l'origine des attentats de la rue de
Rennes et des Galeries Lafayette à Paris en 1985 et 1986, et a kidnappé
plusieurs citoyens français, notamment Jean-Paul Kaufmann et Marcel
Fontaine. Cette chaîne diffuse quotidiennement des appels au meurtre des
juifs d'Israël et, accessoirement, des chrétiens. Il y a un an, elle avait
diffusé en France un feuilleton intitulé Al-Shatat, Diaspora en français,
qui, reprenant la propagande nazie du « Protocole des sages de Sion »,
montrait le complot juif mondial en l'illustrant notamment par l'égorgement
d'un jeune enfant chrétien, dont le sang servait à fabriquer des galettes
azymes pour la Pâque juive. Ce feuilleton avait conduit le président du CSA,
M. Baudis, a saisir la justice et le procureur de la République au mois de
janvier dernier. Depuis lors, aucune nouvelle de cette plainte (…). Pourquoi
sommes-nous arrivés aujourd'hui à conventionner une chaîne terroriste ? »
[30] Une intervention qui fit sensation à défaut de respecter l'honnêteté de
l'information. En effet, aucune enquête judiciaire n'a jamais lié les
attentats de 1985 et 1986 au Hezbollah ; Jean-Paul Kaufman et Marcel
Fontaine étaient détenus par le Jihad islamique ; Al-Manar n'appelle pas au
meurtre des juifs et des chrétiens, mais à la lutte contre l'occupation
militaire et la Collaboration ; le feuilleton Diaspora ne s'inspire pas du
Protocole des sages de Sion ; quant à la plainte du CSA, ce n'était qu'un
signalement au procureur de la République lequel a ouvert une instruction
confiée au juge Emmanuelle Ducos et n'ayant pas trouvé motif suffisant à
poursuites. Peu importe, chahuté par les socialistes et l'UMP, le ministre
Renaud Donnedieu de Vabres s'exclame : « S'il faut des moyens juridiques
supplémentaires [pour interdire Al-Manar], le Premier ministre et le
Gouvernement vous les proposeront » [31].

Lors d'un débat télévisé, sur France 3, le vice-président du Réseau Voltaire
Issa El-Ayoubi plaide face à Pierre Lellouche pour qu'une sanction pénale
soit prononcée à propos du feuilleton, si matière il y a, mais qu'aucune
sanction collective ne soit appliquée discrétionnairement à l'ensemble de la
chaîne. Mais l'heure n'est plus au débat et l'animateur met un terme à la
discussion [32].

Plus personne ne cache que le but est d'interdire Al-Manar pour l'empêcher
de diffuser ses bulletins d'information, que l'on votera n'importe quelle
loi et trouvera n'importe quel prétexte pour cela. Le président du CSA,
Dominique Baudis, ne cherchant plus à préserver la fiction de son
indépendance, se rue chez le Premier ministre pour convenir avec lui d'une
solution [33]. À l'issue de cette réunion, Jean-Pierre Raffarin annonce son
intention de relancer le processus législatif en passant par l'Union
européenne [34] et « conseille » au CSA de résilier sine die son
conventionnement [35], suscitant en retour les félicitations du ministre
israélien des Affaires étrangères [36].

Sur ce, le Premier ministre reçoit une délégation de l'American Jewish
Committee (AJC), une puissante organisation néo-conservatrice états-unienne
dont fait partie M. Sharansky et qui travaille en étroite collaboration avec
le CRIF. Ensemble, ils coordonnent une stratégie… européenne. Dans un
communiqué, l'AJC félicite M. Raffarin et précise : « Al Manar et d'autres
chaînes diffusant des messages pareillement antisémites, anti-américains et
anti-occidentaux, ne sauraient avoir une place dans une Europe qui promeut
la tolérance, le pluralisme et la paix » [37]. Pour donner le coup de grâce,
une troisième saisine du Conseil d'État est enclenchée, cette fois par le
CRIF au titre de la nouvelle loi [38].

Une vive émotion secoua le monde arabe. Manifestations et colloques au Liban
et en Égypte. Interventions politiques de tous bords, jusqu'au secrétaire
général de la Ligue arabe, Amr Moussa [39]. Le Conseil national libanais de
l'audiovisuel annonce des mesures de réciprocité, c'est-à-dire la
suppression des privilèges accordés aux médias français au Liban si Al-Manar
est interdit en France [40].

En définitive, l'arrêt du Conseil d'État tombe le 13 décembre 2004. La
chaîne est interdite, mais pas pour antisémitisme imaginaire. « Il ne
saurait être exclu que la réitération d'émissions ouvertement contraires aux
dispositions de l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986 [protection de
l'enfance et de l'adolescence] ait des incidences néfastes sur la sauvegarde
de l'ordre public ». En d'autres termes, la chaîne est censurée par ce que
les informations qu'elle diffuse sont susceptibles de révolter des jeunes
gens qui troubleraient alors l'ordre public [41]. Le ministre israélien des
Affaires étrangères exulte : « Nous ne pouvons que nous féliciter de cette
mesure prise contre cette chaîne qui diffuse des discours de haine féroce
contre les juifs, les chrétiens et les pays occidentaux » [42].

Avec les ambiguïtés dont elle est coutumière, l'association Reporters sans
frontières (RSF) déplore la méthode employée contre Al-Manar pour mieux
accuser la chaîne de diffuser « des propos antisémites inacceptables » [43].
On a appris depuis comment la NED/CIA finance cette association sensée
défendre la liberté de la presse [44].

Techniquement pour qu'Eutelsat cesse de diffuser Al-Manar en Europe, il
aurait fallu couper en même temps Sharjah TV, Quatar TV, Saudi Arabian TV,
Kuwait Space Channel, Jamahirya Satellite Channel, Sudan TV, Oman TV,
Egyptian Satellite Channel. Soucieuse de ne pas faire porter aux autres le
poids la censure dont elle est victime, Al-Manar jette l'éponge et résilie
ses contrats [45]. La chaîne reste néanmoins accessible sur Internet et via
ArabSat 2B à 30.5 degrés est, Badr 3 à 26 degrés est et NileSat 102 à 7
degrés ouest.

Pour faire passer cette décision dans le public, le ministère de la
Communication organise une campagne dénommée « Vivre ensemble ». Les
établissements culturels et l'audiovisuel public délivrent des messages
expliquant que « La haine et l'intolérance n'ont pas droit de cité », ce qui
a conduit à interdire Al-Manar. Pour l'édification des jeunes révoltés, Arte
rediffuse la série Holocauste [46].

Pendant ce temps, le président de l'UMP, Nicolas Sarkozy, entreprend une
tournée triomphale en Israël où il se vante d'avoir, avec son parti, joué un
rôle central dans la censure de la voix du Hezbollah [47].

*Troisième acte : la généralisation de la censure*
Pendant que la classe dirigeante française bataillait pour fabriquer un
cadre juridique permettant de censurer Al-Manar, un processus identique se
déroulait en Australie à l'initiative du député travailliste Robert Ray. Il
avait abouti à l'interdiction sur le satellite TARBS.

À la requête du Premier ministre israélien Ariel Sharon, une cellule de
coordination est créée à Washington pour étendre la censure au monde entier
: la Coalition against terrorist media (CATM). Elle est installée dans les
locaux de la Foundation for the Defense of Democracies, une puissante
organisation sioniste [48]. La documentation de cette fondation ne laisse
aucun doute sur la finalité de cette campagne : il s'agit de couper la voix
du Hezbollah dans la perspective d'une intervention militaire au Liban. Et
parmi les responsables de la fondation, on retrouve des auteurs du plan
d'attaque du Liban comme Richard Perle [49]. Jusque-là, les Français et les
Australiens ne savaient peut-être pas tous quels crimes ils préparaient,
désormais nul ne l'ignore.

Transformé en estafette de l'état-major des Forces armées israélienne, le
gouvernement français met en œuvre la stratégie convenue avec l'American
Jewish Committee : il fait inscrire la question de la censure de ce type de
chaîne à l'ordre du jour du Conseil des ministres européens [50]. Le dossier
est pris en main par la commissaire européenne chargée de la Société de
l'information et des Médias, Viviane Reding. Elle travaille en collaboration
avec le bureau bruxellois que l'ancien président tchèque Vaclav Havel a
ouvert pour la Foundation for the Defense of Democracies.

Aux États-Unis, le département d'État inscrit la chaîne de télévision sur sa
liste des « organisations terroristes » [51]. C'est le premier média a être
ainsi qualifié et, à moins de considérer que les scoops d'Al-Manar sont « de
vrais bombes », on ne comprend pas ce que cela peut vouloir dire. Quoi qu'il
en soit, Intelsat et Globecast (une filiale de France-Télécom) cessent de
diffuser Al-Manar en Amérique du Nord [52].

Pour l'ancien Premier ministre libanais Salim El-Hoss, les États-Unis ont
manipulé toute cette affaire pour interdire l'expression d'un point de vue
en Europe et en Amérique. « Washington qualifie de "terrorisme" le droit à
la résistance contre l'occupation israélienne et de "légitime défense" le
terrorisme israélien et l'usurpation par Israël d'une terre qui appartient à
un autre peuple », poursuit-il [53]. En rétorsion, la plupart des opérateurs
libanais du câble cessent de transmettre la chaîne francophone TV5.

En juillet 2005, c'est au tour du ministre de l'Industrie et du Commerce
espagnol de retirer le signal d'Al-Manar du satellite public Hispasat dirigé
vers l'Amérique latine. Puis, le Centre Simon Wiesenthal intervient auprès
du gouvernement français pour que Globast (autre filiale de France-Télécom)
coupe son signal vers l'Asie. En janvier 2006, le ministre de la Justice des
Pays-Bas ordonne de couper le signal d'Al-Manar sur New Skies Stallite, qui
émettait encore vers les États-Unis. En mars 2006, le département du Trésor
des États-Unis géle les avoirs des sociétés liées à Al-Manar dans les
banques états-uniennes.

*Quatrième acte : l'élimination physique*
Le 12 juillet 2006, le Hezbollah capture deux soldats israéliens lors d'une
escarmouche dans la zone des fermes de Chaaba. Ce territoire est reconnu
comme libanais par la communauté internationale, mais occupé par Israël qui,
lui, le considère comme syrien. Cet incident sert de prétexte à une vaste
offensive militaire contre le Liban. Dès le début des opérations, le 13
juillet, l'aviation israélienne bombarde les studios d'Al-Manar à Beyrouth
pour éteindre à jamais la voix du Hezbollah [54]. Le raid fait trois blessés
graves.

Cependant, la Résistance libanaise continue à émettre en différé et par
intermittence depuis des lieux tenus secrets [55]. Le secrétaire général du
Hezbollah, Hassan Nasrallah parvient ainsi à s'adresser à ses concitoyens et
à donner des nouvelles du front. Pour en finir, les Forces israéliennes
bombardent le 22 juillet toutes les stations de diffusion de toutes les
chaînes du pays pour être sûrs qu'aucune ne relaye le signal d'Al-Manar
[56], mais Arabsat continue à émettre.

En outre, Al-Manar continue à être visble sur son site internet. Par mesure
de précaution, le Hezbollah utilise un centre serveur en Inde. Mais,
utilisant une prérogative gouvernementale, le gouvernement indien soucieux
de ne pas compromettre son récent contrat nucléaire avec les États-Unis, a
déconnecté le site afin de « préserver de bonnes relations avec un État ami
».

Pour comprendre ce qui se passe au Liban et en Palestine occupée, le monde
doit se contenter des informations des grandes agences de presse soumises à
la censure militaire israélienne [57]. Les efforts déployés depuis trois ans
par Israël pour tuer Al-Manar sont proportionnés aux crimes qu'il veut
cacher.
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